À cette époque, la vie ne manquait pas de vitalité, mais il faut tout de même reconnaître que les stéréotypes véhiculés par la société en général ne passaient pas inaperçus et influençaient les attentes et les possibilités d’emploi de nombreux citoyens noirs. La chronique ONC adoptait une position ferme sur les questions du racisme et de l’exclusion sociale considérées comme ségrégationnistes.

D’une certaine manière, les chroniques « Our Negro Citizens » racontaient ni plus ni moins les allées et venues d’un groupe social particulier en quête d’un sentiment d’élévation raciale et d’un statut de classe moyenne. Cependant, l’analyse plus approfondie de ces chroniques permet de comprendre l’importance de mieux explorer le quotidien de ces pionniers.

Edmonton Journal, le 18 février 1922.

Il est possible d’établir des liens entre les diverses activités des gens de ces communautés et les plus grands enjeux de la race, de la racialisation et d’autres enjeux sociaux ayant cours à l’échelle nationale et internationale.

« Les personnes de couleur d’Edmonton se réjouissent du fait que leur cher concitoyen de marque, l’honorable Charles Stewart a fait preuve d’un vrai sentiment de justice et de franc-jeu à la canadienne en refusant de renvoyer Matthew Bullock en Caroline du Nord, aux États-Unis, où les gens de couleur sont lynchés pour presque rien. Ce geste de l’honorable ministre de l’Intérieur est à l’image de l’attitude du gouvernement du Canada en période d’esclavage américain, lorsque le Canada est devenu une terre d’asile pour les esclaves se sauvant par le chemin de fer clandestin. »

Edmonton Journal, le 4 février 1922.

Société chrétienne de tempérance des dames

La Société chrétienne de tempérance des dames était un organisme préconisant la tempérance à l’égard de l’alcool, tout en mettant l’accent sur les ravages de la boisson chez les familles, surtout les maris. À Edmonton, un groupe de femmes noires a organisé plusieurs réunions de la Société chrétienne de tempérance des dames, y compris le groupe de Phylis Wheatley.

« En 1932, elles ont organisé quatorze réunions ordinaires, trois réunions extraordinaires et une réunion de salon. Les membres de cette société ont fait du démarchage dans le district pendant la campagne référendaire, organisé un concert prohibitionniste et mené à bien une campagne de recrutement de membres. Cette société compte 18 membres en règle. Ses membres ont également observé la fête des Mères, organisé un rassemblement commémoratif pour Frances Willard de même qu’une pièce de théâtre et une vente de charité ayant permis de recueillir la somme de 129,59 $, dont une grande partie a été dépensée. Elles ont trouvé un foyer pour une petite fille qui n’aurait pas pu aller à l’école autrement et organisé une activité sociale de Noël gratuite pour de jeunes orphelins. La société s’est également occupée de 12 membres. Deux des membres de la Société ont fait partie d’un comité exerçant des pressions sur le conseil municipal pour protester contre les taxes de location élevées. »

Rapport du congrès annuel de la Société chrétienne de tempérance des dames, 1921.

Negro Political Association (NPA)

« La raison d’être de cette association est la suivante : étudier les principes et les préceptes politiques des partis politiques, les mesures législatives proposées par les organes législatifs de même que toutes les propositions politiques qui concernent le bien-être de la race. Cet organisme n’a pas pour but d’appuyer des mesures ou des hommes, mais plutôt d’étudier et de donner des renseignements exacts relativement aux rapports, d’examiner les traités ou d’écouter parler les défenseurs de diverses théories et propositions. Il a aussi pour but de faire en sorte que ses citoyens obtiennent le droit de vote. »

Le 22 septembre 1921.

« La Negro Political Association de l’Alberta tient à informer les différents partis politiques qu’elle n’appuiera aucun parti tant qu’elle n’aura pas entendu parler tous les candidats des divers partis. À ce moment-là, le parti qui exposera dans sa plateforme les vrais principes de démocratie et de protection de ses citoyens et de son pays, sans égard à la race, aux croyances ou à la couleur, sans discrimination, avec la certitude que ces candidats ne cachent rien, ce parti recevra alors notre appui de tout cœur au scrutin et nous serons à la hauteur de notre obligation à tous les égards. »

Edmonton Journal, le 22 octobre 1921.

Grâce à ces reportages, nous pouvons repenser le stéréotype des Canadiens noirs des années 1920 en Alberta voulant qu’ils soient victimes passives de discrimination raciale, entièrement coupés de la société dans son ensemble. Ces reportages nous permettent plutôt d’être témoins de la présence de citoyens politiquement et socialement engagés.

Des incidents ou des tentatives d’exclusion sociale continue ont également été souvent signalés dans les chroniques « Our Negro Citizens ».

Lulu Anderson

En 1922, Lulu Anderson (membre de l’église EAME) a poursuivi en justice le théâtre Metropolitan d’Edmonton après s’être vue refuser le droit d’aller voir un film à ce théâtre. Après un procès ayant duré six mois, la cour a statué en faveur du théâtre, affirmant qu’il avait le droit de refuser l’admission à qui que ce soit pourvu qu’il lui rembourse le prix du billet. Même si Lulu n’a pas remporté son procès, elle a figuré parmi les premières personnes noires à avoir recouru à divers moyens, dont les tribunaux, pour affirmer son humanité et résister au traitement de seconde classe au Canada.

Une foule devant le théâtre Pantages, sur l’avenue Jasper et la 102e Rue à Edmonton, en 1921. Dans le courant de l’année, ce théâtre a changé de nom, devenant le cinéma Metropolitan. En 1931, après des rénovations ayant nécessité une brève fermeture, il a rouvert ses portes sous le nom de The Strand. Image gracieuseté des archives du Glenbow, archives et collections spéciales, Université de Calgary, NC-6-6029B.

Bashir Mohamed

À regarder

Brève entrevue avec Bashir Mohamed au sujet de l’histoire et de l’importance de Lulu Anderson. Entrevue enregistrée le 5 août 2021, réalisée par Christina Hardie dans le cadre de l’exposition virtuelle Et pourtant nous nous élevons : une présence noire en Alberta. Cette exposition est hébergée par l’Edmonton City as Museum Project, d’après la recherche de Jennifer Kelly, PhD.

Un autre exemple de tentative d’exclusion sociale a été publié dans l’Edmonton Journal d’avril 1924.

D’après les détails à sensation publiés dans le journal, l’accusé,
M. Walker, un parent noir, était fâché du fait que M. Wallace, un enseignant, a refusé d’admettre un autre de ses enfants à l’école locale de Campsie.

Edmonton Journal, le 5 avril 1924.

Deborah Beaver et l’école de Campsie

À regarder

Brève entrevue avec Deborah Beaver au sujet de l’école de Campsie, en Alberta. Entrevue enregistrée
le 27 juillet 2021, réalisée par Christina Hardie dans le cadre de l’exposition virtuelle Et pourtant nous nous élevons : une présence noire en Alberta. Cette exposition est hébergée par l’Edmonton City as Museum Project, d’après la recherche de Jennifer Kelly, PhD.

Des événements semblables d’exclusion sociale se sont également produits à Edmonton. En juillet 1924, il y a eu une tentative d’exclure des citoyens noirs de deux nouvelles piscines à Borden et à Oliver ainsi qu’à l’ancienne piscine Queen Elizabeth.

La piscine du parc Borden et les montagnes russes du parc Borden en arrière-plan, en 1925. Image gracieuseté des archives de la Ville d’Edmonton, EA-10-2813.

Le révérend Slater, Ernie Walker et Richard Crotch ont envoyé une lettre d’appel au conseil municipal d’Edmonton pour lui demander de rejeter cette ordonnance et de les protéger « d’une insulte et d’une injustice aussi graves ».

« La population noire d’Edmonton s’objecte fortement à un décret selon lequel les Noirs n’ont pas le droit d’utiliser les piscines publiques. Leur protestation est signifiée dans une lettre signée par Mme P.S. Paston [sic] et un comité composé du révérend George W. Slater fils, d’Ernie Walker et de Richard Crotch. Cette lettre a été envoyée au conseil municipal hier. »

Edmonton Bulletin, le 12 juillet 1924.

Matière à réflexion

  • Regarde bien l’article de journal ci-dessus.
    • Quels mots ou expressions te sautent le plus aux yeux?
    • Quels mots ou expressions démontrent la représentation des Noirs d’Edmonton?

Trois jours plus tard, grâce à la défense du comité ci-dessus, l’Edmonton Bulletin a annoncé que le conseil municipal avait voté « à quasi-unanimité en faveur d’accorder aux [citoyens noirs d’Edmonton] les privilèges d’accès complets aux piscines. »

Edmonton Bulletin, le 15 juillet 1924. Image gracieuseté des archives de la Ville d’Edmonton.

Sur le plan de l’emploi, les Albertains noirs ont également fait face à l’exclusion sociale. En raison des occasions d’emplois entachées de restrictions et du racisme économique, « dans les années 1920 et 1930 à Calgary, les emplois de porteur étaient à peu près les seuls emplois auxquels les [N]oirs pouvaient accéder. » (« Urban Blacks in Alberta », Palmer and Palmer, 1981.)

Qui étaient les porteurs?

Jetez un coup d’œil à l’histoire d’ECAMP « Le porteur : construction d’un meilleur Canada pour tous » par Donna Coombs-Montrose.

La Fraternité canadienne des employés des chemins de fer et autres transports, un syndicat, a négocié une entente à deux niveaux avec les Chemins de fer nationaux du Canada. Conformément à l’entente syndicale, il y avait deux groupes d’ancienneté. Le groupe I comprenait divers employés comme ceux des voitures-restaurants et les chefs de wagons-lits. Le groupe II était principalement composé des porteurs noirs de wagons-lits.

Porteurs noirs à l’emploi du Chemin de fer Canadien Pacifique, années 1920. Image gracieuseté des archives provinciales de l’Alberta, A9167.

Matière à réflexion

  • En quoi consiste le travail d’un porteur?

Souvent, les Noirs des milieux urbains de l’Alberta durant les années 1920 sont seulement dépeints comme des victimes de discrimination raciale. Peu de choses sont publiées à propos de leur vie comme citoyens communautaires actifs. Cependant, selon les chroniques ONC, il y avait aussi à Edmonton un groupe d’entrepreneurs dont la clientèle n’était pas uniquement noire.

Le 28 mars 1922, le révérend Slater a écrit ce qui suit dans une chronique ONC : « Nous sommes contents de voir que de plus en plus de gens de notre communauté se lancent en affaires ». Il louangeait sans cesse l’esprit d’entrepreneuriat de Mme Richard Proctor qui avait ouvert sa propre boutique d’ouvrage à l’aiguille, de Mme Anna Bell qui était propriétaire d’un magasin de confection de robes ainsi que de Mme Russell et de Mme McCathrone qui avaient une buanderie de lavage à la main.

Avec la venue de la crise économique des années 1930 se dessine un mouvement de déplacement des gens des milieux ruraux aux milieux urbains, tant en Alberta qu’en Colombie-Britannique. Certaines familles sont retournées aux États-Unis, mais pas nécessairement en Oklahoma. La deuxième génération de citoyens noirs commençait à fréquenter l’école et à se chercher du travail.

L’école variait d’une communauté à l’autre. Les Noirs qui allaient à l’école à Amber Valley avaient des enseignants noirs. Parmi les enseignants noirs nés dans les communautés, notons Jesse Jones, Agnes Leffler, Gwen Hooks et Ruby Bransford. La représentation des Noirs comme minstrels s’est poursuivie à cette époque, et certains élèves en ont été témoins par le truchement des livres d’histoires en classe.

Sur le plan de l’emploi, un certain nombre d’hommes des villes et villages ont eu l’occasion de travailler sur les chemins de fer, à temps plein ou à temps partiel, occupant ainsi divers emplois, soit en tant que cuisiniers, soit en tant qu’ouvriers de rotonde. Dans les années 1940, certains hommes se sont mis à jouer un rôle actif au sein de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs. Pour leur part, les femmes pouvaient occuper des emplois domestiques.

À regarder

Gwen Hooks, dont les parents étaient des pionniers de Keystone, a déménagé à un jeune âge à Radway, communauté principalement blanche. Elle se rappelle ses années scolaires et plus tard, ses études à l’école normale.

Vidéo gracieuseté de l’Alberta Labour History Institute. (en anglais)

Matière à réflexion

  • Maintenant que tu as vu une partie de cette exposition, tu peux te poser la question suivante : Est-ce que la situation du racisme et des stéréotypes s’est améliorée pour les Albertains noirs? Est-ce que les choses se sont empirées?