Beaucoup d’immigrants noirs venus en Alberta en tant que groupes de familles au début des années 1900 avaient déjà vécu sur le territoire de l’Oklahoma, auprès des cinq tribus civilisées (Cherokee, Creek, Seminole, Chickasaw et Choctaw). Après la création de l’État en 1907, les habitants noirs ont fait face à une discrimination accrue, notamment en raison des lois ségrégationnistes et de la privation du droit de vote.

À peu près au même moment, les journaux américains se sont mis à publier des annonces faisant la promotion de fermes de 160 acres au coût de 10 $ dans l’Ouest canadien. Aux États-Unis, le racisme prenait de l’ampleur. Les personnes de race noire étaient la cible de lynchage par la foule, tandis que les agglomérations et les commerces noirs se faisaient incendier. C’est alors que certaines personnes ont commencé à explorer leurs options pour fuir le racisme et la privation de leurs droits.

Annonce parue dans le journal Boley Progress, le 11 février 1911.

Les immigrants noirs qui sont venus en Alberta au début des années 1900 se sont principalement installés dans quatre communautés rurales isolées : Junkins (maintenant appelée Wildwood), Keystone (dorénavant Breton), Campsie (près de Barrhead) et Pine Creek (plus tard appelée Amber Valley). Ces quatre communautés sont mentionnées dans les chroniques Our Negro Citizens publiées dans l’Edmonton Journal et l’Edmonton Bulletin au début des années 1920.

Amber Valley était la plus grande et la mieux connue de ces communautés. Cela dit, Junkins a été la première communauté à compter un nombre important de pionniers noirs. Junkins, Breton et Campsie ont accueilli un nombre de plus en plus grand d’Européens.

Deborah Beaver

À regarder

Brève entrevue avec Deborah Beaver au sujet de ses liens avec les établissements noirs de l’Alberta et de la Saskatchewan. Elle s’entretient aussi des liens de sa famille avec Campsie, en Alberta. Entrevue enregistrée le 27 juillet 2021, réalisée par Christina Hardie dans le cadre de l’exposition virtuelle Et pourtant nous nous élevons : une présence noire en Alberta. Cette exposition est hébergée par l’Edmonton City as Museum Project, d’après la recherche de Mme Jennifer Kelly, PhD.

Carte géographique indiquant l’emplacement des quatre principales communautés noires de l’Alberta. Image créée par l’équipe d’ECAMP à l’aide de Google Maps, février 2021.

D’après le recensement de 1911, seulement 30 pour cent des premiers arrivants noirs vivaient en milieu urbain, dont 72 à Calgary et 208 à Edmonton.

En 1921, le recensement faisait état de 66 personnes dans la colonne « Negro » à Calgary, tandis qu’Edmonton en comptait 277. Toujours selon le recensement, 74 pour cent des Noirs de souche américaine vivant en Alberta étaient naturalisés (avaient donc obtenu leur citoyenneté).

Junkins

Le premier groupe de personnes noires répertorié est arrivé à Edmonton en train en avril 1908. Ce groupe était composé de sept familles dont l’intention était de s’installer dans la région de Junkins (aujourd’hui appelée Wildwood), à l’ouest d’Edmonton.

Edmonton Bulletin, le 24 octobre 1908.
Edmonton Bulletin, le 24 octobre 1908.

L’établissement de ces personnes s’est accompagné de la construction de maisons, d’églises, de bureaux de poste et d’écoles. La communauté de Breton a aménagé l’église baptiste Good Hope et l’école Funnell. Pour sa part, la communauté de Junkins a érigé l’église Grace A.M.E. et l’école Empyreum.

« Les citoyens de couleur de Junkins de même que les Blancs sont entreprenants. Il y a quatre scieries, dont une appartient à une entreprise de couleur qui vient de terminer un contrat de bois d’œuvre de près de 300 000 $ pieds. La qualité du travail de cette entreprise est sans égal. En moyenne, elle produit 50 000 pieds de bois d’œuvre tous les cinq jours. »

Edmonton Bulletin, février 1922.

École Toles d’Amber Valley : M. George Cromwell et Mme Alice Cromwell

M. George Cromwell et Mme Alice Cromwell étaient des enseignants noirs diplômés d’un collège de l’Ontario. Ils ont enseigné à plein temps à l’école Toles d’Amber Valley des années 1918-1919 jusque vers la fin des années 1940 et le début des années 1950. Dans les années 1930, Mme Cromwell a choisi le nom Amber Valley pour remplacer le nom du district de Pine Creek.

École Toles d’Amber Valley : M. George Cromwell et Mme Alice Cromwell

M. George Cromwell et Mme Alice Cromwell étaient des enseignants noirs diplômés d’un collège de l’Ontario. Ils ont enseigné à plein temps à l’école Toles d’Amber Valley des années 1918-1919 jusque vers la fin des années 1940 et le début des années 1950. Dans les années 1930, Mme Cromwell a choisi le nom Amber Valley pour remplacer le nom du district de Pine Creek.

William George et Alice Cromwell, accompagnés de leurs fils Dermont et Whitney, sans date précise. Image gracieuseté de la collection de Charles Irby, CEMA 10, département des collections spéciales, librairies de l’Université, Université de la Californie, Santa Barbara.

« Il fallait bien trouver un nom à cet endroit. Quel nom lui conviendrait mieux? C’était un beau temps de l’année pendant qu’on en parlait. Le blé doré et les feuilles qui tombaient des arbres étaient magnifiques. Je me suis alors dit qu’« Amber Valley » serait un bon nom, représentatif de la couleur de l’ambre jaune. Parmi tous les noms proposés, ils ont choisi le mien. »

Pendant que les Cromwell enseignaient à l’école, le nombre d’élèves a augmenté plus que dans les autres écoles rurales. Alice Cromwell se souvient de sa première rencontre avec les gens d’Amber Valley : 

« Je me rappelle qu’il y avait des mules à notre arrivée. C’était en 1919, juste après la fin de la Première Guerre mondiale. Nous étions allés à Edmonton où ils étaient à la recherche d’enseignants. Ils avaient de la difficulté à recruter des enseignants de l’Ontario dans toutes les provinces de l’Ouest et c’est là que nous avions fait nos études. Mon mari avait trois ans de plus que moi et nous avons fréquenté la même université. »

L’Alberta Labour History Institute (ALHI) a interviewé Gwen Hooks, une figure importante de Breton. Elle « est devenue enseignante, puis directrice d’une école d’éducation spécialisée et présidente d’une section locale de l’Alberta Teachers’ Association. Elle a ouvert un musée à Breton ». Vous pouvez visionner l’intégralité de l’entrevue ci-dessous.

Gwen Hooks en entrevue avec Mme Jennifer Kelly, PhD, en mai 2001

À regarder

Gwendolyn Hooks est née à Keystone (maintenant appelée Breton). Son père était de l’Oklahoma et sa mère, du Kansas. Ses parents faisaient partie des 52 familles de cultivateurs qui ont fui les lois de Jim Crow et le lynchage qui sévissait dans le sud des États-Unis. La belle-mère de Gwen était Creek. Après avoir fréquenté diverses écoles rurales de l’Alberta, du primaire au collégial, Gwen Hooks a commencé à enseigner au début des années 1940.

Lire la transcription de la vidéo (en anglais).

Vidéo gracieuseté de l’Alberta Labour History Institute.

La galerie d’images et les coupures de presse ci-après donnent un aperçu de la vie des habitants de Breton, Keystone et Amber Valley à cette époque.

Matière à réflexion

  • Qui aurait écrit ces titres?
  • Quels mots donnent des indices sur leurs opinions?
  • Si tu étais une personne noire des États-Unis et que tu avais immigré au Canada à ce moment-là, comment te sentirais-tu en lisant ces titres?

Histoire orale : Mme John King raconte sa traversée de la frontière du Canada et son trajet vers Edmonton

« … c’était en avril 1911. Trente-cinq familles. On a traversé à Emerson [dans le sud du Manitoba].

Une fois arrivés à Edmonton, on a tous vécu sur la 8e Rue, dans des tentes. Huit familles, et on a vécu là jusqu’à ce qu’on s’établisse pour de bon. On a commencé en avril. On est venus, on a examiné la terre. On a passé l’hiver à Edmonton, puis on est revenus à Keystone, comme ça s’appelait dans le temps.

Il y avait des voisins qu’on connaissait. Ça faisait trois ans qu’ils vivaient ici [en Alberta]. Ils nous ont aidés à trouver la terre. On les connaissait. Leur nom de famille était Allen et ils ont invité ma famille à venir. »

Q. : Pourquoi un endroit si isolé?

Parce que… on avait des voisins où on habitait avant, et ça faisait un bout de temps qu’ils vivaient ici. On a décidé de venir aussi, les King, les Allen et les Hayes… Ils sont venus de l’Oklahoma, du même endroit.

Les Sneed [des frères], les Allen, ils se sont établis dans des endroits différents. Certains sont allés à Wildwood, d’autres à Athabasca. Tous ceux que j’ai connus sont venus de l’Oklahoma, mais pas du même endroit.

Q. : Quel était leur métier aux États-Unis?

Ils étaient presque tous des cultivateurs.
….

Q. : Quelles sortes de problèmes avez-vous rencontrés?

Il faisait froid. Le premier hiver, on a grelotté un peu. On a vite compris qu’il fallait porter beaucoup d’épaisseurs, mais on ne savait pas qu’il ferait si froid que ça.

Le centre d’immigration d’Edmonton, vers 1908. Image gracieuseté des bibliothèques de l’Université de l’Alberta, Peel’s Prairie Provinces, collection de cartes postales des prairies, 13586.

Pour les pionniers noirs des quatre principales communautés rurales de l’Alberta (Junkins, Keystone, Pine Creek et Campsie), l’agriculture était une vocation importante. L’hiver, ils délaissaient leurs fermes pour travailler dans le domaine de la construction ou dans les usines de conditionnement de la viande afin de faire un peu plus d’argent.

Sur la photo : Sylvester Hinton et sa demi-sœur Louise Hamilton sur le tracteur d’Howard Hamilton. Sans date. Archives d’Athabasca, 14375.

Citation de Judith Hill, chercheuse, racontant l’histoire de l’immigration de l’Oklahoma à Pine Creek (Amber Valley), 1981

« La séquence des événements qui ont précédé la première grande vague de migration des Noirs de l’Oklahoma vers la région de Pine Creek (renommée Amber Valley au début des années 1930 par une enseignante) est assez bien documentée.

En janvier ou en février 1910, un premier groupe a quitté l’Oklahoma. Il s’agissait d’un petit groupe d’hommes seulement, dirigé par deux hommes d’âge moyen, Jordan Murphy de Chandler City et Nim Toles de Clearview. Leur première destination était Kansas City et là, ils ont pris les arrangements nécessaires pour l’immigration auprès de J.S. Crawford, l’agent du gouvernement canadien.

À partir de là, ils ont pris le train, ont traversé la frontière à Emerson, au Manitoba et se sont rendus directement à Edmonton. Il est probable que ce groupe soit allé là en guise de reconnaissance. Ce qu’ils ont vu leur a sûrement plu parce qu’ils ont fait une demande pour treize propriétés familiales rurales dans la région d’Amber Valley. Le printemps suivant, ils ont envoyé des rapports enthousiastes en Oklahoma, incitant fortement amis et parenté à venir les retrouver. »

Bobbie et Ester Crump et leurs enfants, Harges, Flora et Melvin à Edmonton, en Alberta, vers 1918. Image gracieuseté des archives du Glenbow, archives et collections spéciales, Université de Calgary, NA-4210-1.

Matière à réflexion

  • Si tu étais une personne noire des États-Unis et que tu avais immigré au Canada à ce moment-là, comment te sentirais-tu? Enthousiaste? Nerveuse? Pleine d’espoir?