Au début des années 1900, les pionniers noirs de l’Alberta se voyaient souvent comme de fiers citoyens canadiens et sujets britanniques. Ils ont toutefois dû combattre l’exclusion dont ils ont fait l’objet dans plusieurs sphères de la vie au Canada, allant du service au sein du Corps expéditionnaire canadien à l’accès au théâtre, à la piscine et au logement dans la région.

Charles Daniels : entrée refusée

En 1914, Charles Daniels – un porteur de wagons-dortoirs – s’est vu refuser l’accès aux places de première rangée qu’il avait achetées au Grand Théâtre Sherman de Calgary, se faisant dire d’aller dans la « section des personnes de couleur », à l’étage du balcon.

Un homme de Calgary se rebute devant la distinction de race et de couleur

« Un homme de couleur qui avait demandé à un messager d’acheter son billet de théâtre dans la section orchestre du Grand Théâtre Sherman s’est vu refuser l’accès à son siège, se faisant dire qu’il pouvait échanger son billet contre une place au balcon. En tant que sujet britannique et citoyen de Calgary, il s’est indigné devant cette insulte et a retenu les services d’un avocat pour connaître ses droits. Il a ensuite déposé une demande d’indemnisation au tribunal. »

Calgary News Telegram, le 7 février 1914.

Étonnamment, Charles Daniels a réussi à poursuivre le théâtre pour des dommages-intérêts de l’ordre de 1 000 $ en raison de l’humiliation publique qu’il a subie. Sa requête a remporté un succès mitigé, principalement parce que le théâtre n’était pas représenté eu procès.

The Albertan, le 26 mars 1914.

Secret Calgary: Kicking Up A Fuss

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En 1914, Charles Daniels est entré dans un théâtre de Calgary avec le billet qu’il avait payé. Il s’est vu refuser l’accès à sa place parce qu’il était Noir. Cette histoire de droit civil peu connue nous rappelle que l’histoire est truffée de héros tombés dans l’oubli. Les séquences du film Secret Calgary: Kicking Up a Fuss sont une gracieuseté de TELUS. Ce film est sorti en février 2020.

Vidéo incluse avec la permission de Telus StoryHive.

Diverses tentatives ont été faites pour empêcher les Noirs de vivre dans certains quartiers de la ville. En 1920, quatre familles se sont installées dans le quartier de Victoria Park à Calgary, auparavant entièrement composé de personnes blanches. Les familles de race blanche ont déposé une pétition signée par 472 des 670 ménages du secteur pour demander au conseil municipal de Calgary d’empêcher les Noirs de vivre dans le quartier ou de les expulser. Curieusement, en guise de solution, le 1er mai 1920, les résidents blancs de Victoria Park ont été invités à nommer des délégués à une conférence ayant des représentants de personnes noires dont ils protestaient l’invasion.

The Calgary Daily Herald, le 1er mai 1920.

Hazel Proctor (Ostler) interviewée par Jennifer Kelly et Donna Coombs-Montrose, octobre 2001

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Hazel Proctor (Ostler), fille d’un membre actif de la Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs, section de Calgary, est née à Edmonton. Elle y a également fait ses études et entrepris sa carrière, avant de déménager à Calgary. Les racines de son père se trouvaient en Ohio. Sa grand-mère avait fait partie du groupe d’Oklahoma s’étant installé à Amber Valley. En tant que dirigeante de l’Alberta Association for the Advancement of Colored People (AAACP), elle a connu la discrimination et le racisme systémique auxquels les parents noirs faisaient face aux écoles publiques, aux piscines, aux salles de danse et dans d’autres lieux publics. À titre de chef de sa communauté et d’activiste, Hazel Proctor (Ostler), qui faisait partie de plusieurs organismes voués aux femmes, décrit les principaux emplois à la disposition des femmes noires dans les années 1950 et 1960 comme domestiques mal rémunérées.

Lire la transcription de la vidéo (en anglais).

Vidéo gracieuseté de l’Alberta Labour History Institute.

2e Bataillon de construction, Première Guerre mondiale

Pour les jeunes hommes noirs, ce n’était pas chose facile que d’intégrer l’Armée canadienne en temps de guerre. Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, de nombreux hommes noirs ont voulu y jouer un rôle, mais ils ont eu du mal à se joindre au Corps expéditionnaire canadien (CEC), recevant des réponses inconséquentes de la part des bureaux de recrutement. Certains hommes ont réussi à s’inscrire à des régiments individuels, mais aux yeux de certains officiers, ils n’étaient pas considérés comme des soldats adéquats.

Pendant la Première Guerre mondiale, Bob Jameson et Columbus Bowen de Pine Creek, en Alberta (plus tard appelée Amber Valley) ont réussi à intégrer le 2e Bataillon de construction réservé aux Noirs basé en Nouvelle-Écosse. Image gracieuseté des archives de la Ville d’Edmonton, EA-223-92_141.


En savoir plus à ce sujet à Anciens combattants Canada : Les Canadiens noirs en uniforme — une fière tradition.

« Selon la science et l’opinion publique, certains groupes identifiables manquaient de bravoure, de discipline et d’intelligence pour combattre dans une guerre moderne. Puisque ces mêmes groupes étaient aussi des sujets des empires européens d’outremer, la prudence voulait que le goût de tuer des hommes blancs pourrait servir d’appât si jamais ils étaient appelés à combattre un ennemi européen. »

James W. St.G. Walker, « Race and Recruitment in World War I: Enlistment of Visible Minorities in the Canadian Expeditionary Force », 1989.

Même si officiellement, la position du gouvernement était telle que l’armée ne faisait pas de ségrégation, la correspondance entre des membres hauts placés du personnel prouve qu’ils n’étaient pas prêts à accepter les recrues noires. D’après plusieurs officiers, les recrues blanches n’auraient pas voulu se mêler aux recrues noires.

Plusieurs jeunes hommes noirs d’un peu partout au Canada ont écrit au gouvernement pour lui demander s’il y avait une « ligne de couleur » dans l’armée. Ils se sont fait dire qu’il n’y avait pas de ligne de couleur, mais que les agents appliquaient les règles de manière stricte. En juillet 1916, alors que le nombre de volontaires diminuait et que la pression montait, cette situation a changé. Après avoir discuté de l’état des choses avec le British War Office, le premier ministre du Canada, Robert Borden, a déclaré que son gouvernement pourrait être amené à essayer de placer des recrues noires dans des bataillons séparés.

Le révérend Geo Washington (identifié comme archevêque) qui avait vécu aux États-Unis avant de s’installer à Edmonton pour prêcher aux pauvres avait écrit aux officiers locaux et au lieutenant-gouverneur R.O. Brett pour leur faire comprendre que la communauté locale était entièrement prête à se battre pour le roi et le pays. M. Washington estimait être en mesure de recruter de nombreux Noirs pour faire partie du Corps expéditionnaire canadien, ce qui était une exagération compte tenu de la taille des communautés à l’époque. Il a pris soin de mentionner dans sa lettre que certains membres de sa communauté noire désiraient ardemment se battre pour le Canada, dans l’espoir de mériter du respect et de se faire reconnaître comme citoyens à part entière.

Après maintes hésitations et discussions, le 2e Bataillon de construction, basé en Nouvelle-Écosse, a commencé à accepter des hommes des quatre coins du pays, dont certains de l’Alberta, le 5 juillet 1916. En mars 1917, le SS Southland a quitté le port de la Nouvelle-Écosse à destination du Royaume-Uni, avec des membres du 2e Bataillon de construction à son bord.

2e Bataillon de construction du CEC, novembre 1916. Image gracieuseté du musée de Windsor, P6110.

Janet Nettie Ware, fille de John et Mildred Ware, se souvient de l’enrôlement de ses frères dans le Corps expéditionnaire canadien durant la Première Guerre mondiale :

« Deux de mes frères sont allés à la Première Guerre mondiale. Billy avait l’âge nécessaire, mais Arthur n’avait pas 16 ans. Ma pauvre grand-mère, ça lui a brisé le cœur. Arthur n’avait même pas 16 ans et il partait en guerre. Elle est donc allée en ville, ici à Calgary, pour essayer de l’en empêcher. Les voisins lui avaient demandé : « Mme Lewis, où allez-vous de si bon matin »?

« Arthur s’est enrôlé pour l’armée et je m’en vais voir si je peux le sortir de là. »

« Mme Lewis, ça va vous coûter cher et vous devrez affronter toute la bureaucratie, sans savoir si vous allez réussir. Vous devriez peut-être rebrousser chemin et rentrer chez vous. » C’est ce qu’elle a fait et elle l’a laissé aller. Mes deux frères sont revenus de la guerre. Pendant la Première Guerre mondiale, ils combattaient dans les tranchées. »

The Window of our Memories par Velma Carter et Wanda Leffler Akili (1981).

Matière à réflexion

  • Comment les choses en sont-elles arrivées là où elles en sont aujourd’hui?
  • Considère ta communauté, tes propres actions, les médias et la politique canadienne. Comment l’exclusion sociale continue-t-elle d’exister de nos jours?
  • T’est-il déjà arrivé de te faire exclure de quelque chose en raison de ton apparence, ton genre, ta préférence sexuelle ou ta religion?
    • Comment t’es-tu senti?