Parmi les immigrants des Caraïbes se trouvaient plusieurs enseignants d’îles différentes ayant fait des études un peu partout dans le monde, venus travailler comme enseignants en Alberta.
Il n’existe pas de statistiques indiquant combien d’enseignants se sont établis au Canada, plus précisément en Alberta, à la fin des années 1950 et dans les années 1960. Cela dit, d’après des entrevues, des conversations et des recherches archivistiques, nous pouvons estimer que jusqu’à 70 enseignants des Caraïbes se sont installés dans la province. Certains d’entre eux ont formé la Mico Old Students’ Association, associée à la Jamaica Association of Northern Alberta. L’Université Mico a été fondée en 1835 à Kingston, en Jamaïque.

« En fait, quand je suis venue ici… en Alberta, il y avait une pénurie d’enseignants. Ils faisaient de la publicité […] surtout en Jamaïque pour recruter du personnel enseignant. On avait déjà un très bon ami qui enseignait à l’Université de York. »
La publicité envoyée à la grandeur du Commonwealth britannique représentait une bonne source d’information. Il arrivait aussi parfois que le gouvernement du Canada envoie du personnel à l’étranger pour recruter et interviewer des enseignants.
« Beaucoup de Canadiens étaient venus interviewer des enseignants en Jamaïque même. Tous les médias en parlaient. »
« … J’ai reçu mon diplôme de Mico en 1962. J’ai enseigné en Jamaïque pendant un an, puis j’ai enseigné à [une autre île des Caraïbes]. Ensuite, j’ai travaillé [sur une autre île des Caraïbes pendant deux ans] et là, j’ai lu une annonce de recrutement de personnel enseignant pour le Canada dans le journal… Je me suis dit que ce serait une bonne façon de continuer mon (rires) exploration, au lieu de retourner là-bas. »

Sur le plan social, les voyages à l’étranger permettaient d’élargir les horizons et le capital culturel, car les gens apprenaient du nouveau et rencontraient d’autre monde. Bien des immigrants ont décidé de s’installer au Canada pour ces raisons-là.
« Pourquoi j’ai décidé de venir au Canada? En Alberta? Premièrement, j’avais eu une bourse d’études pour l’Angleterre. Là-bas, j’ai rencontré des étudiants formidables, en provenance du monde entier… des étudiants du Canada entre autres et nous sommes devenus amis. À cette époque, il y avait un genre d’exode de l’Angleterre vers le Canada. Je veux dire que les diplômés partaient de là parce qu’il y avait des emplois au Canada. »
Le bouche-à-oreille et la présence d’amis déjà établis au Canada ont également permis aux gens d’apprendre que le pays avait besoin d’enseignants :
« Ma femme avait une amie au Canada et cette amie a su que l’Alberta en particulier avait besoin d’enseignants. Elle lui a envoyé de l’information sur l’Alberta, sur l’endroit comme tel et sur les postes à pourvoir en enseignement. Ne sachant pas… si on allait aimer ça dans cette province, on a décidé que seulement un de nous deux y irait et que si cette personne n’aimait pas ça, elle reviendrait. »
Bien des enseignants ont eu leur statut d’immigrant reçu dès leur arrivée, la première étape menant à la citoyenneté.
« On avait le droit de travailler et de prendre part à la société. Puis, au bout de cinq ans, on pouvait faire une demande de citoyenneté si on le voulait. »
Ces enseignants ont pu intégrer la société canadienne à titre de professionnels grâce à la pénurie de personnel enseignant, peu après l’officialisation de la profession d’enseignant dans les années 1960. Si la profession avait été complètement réglementée, ces enseignants n’auraient peut-être jamais eu la chance de mettre leurs compétences à profit en classe tout en poursuivant leurs études.

Lieux et conditions d’enseignement
Selon la publicité des revues de l’Alberta Teachers Association (ATA) et les journaux vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, c’était dans le nord de l’Alberta, souvent dans les communautés métisses, que le besoin en enseignants se faisait le plus sentir.
Comme précisé par J.W. Chalmers dans son article sur l’école dans la forêt en 1962 :
« [C]es écoles se trouvent à l’est de la rivière de la Paix, jusqu’à l’Athabasca et au chemin de fer de NAR [Northern Alberta Railway] et au nord du Petit lac des Esclaves jusqu’à Fort Fitzgerald. Grand nombre de ces écoles venaient tout juste de laisser leur titre d’écoles de missionnaires. Environ une demi-douzaine d’écoles avaient existé à titre d’écoles de colonies métisses depuis une vingtaine d’années. Certaines écoles se trouvaient dans de minuscules établissements, tandis que d’autres se dressaient dans d’anciens centres de commerce des fourrures. »
Plusieurs personnes interviewées ont décrit leur expérience d’enseignement auprès d’élèves métis et d’autres élèves de communautés nordiques isolées. Cet isolement pouvait se traduire par une situation financière différente à la retraite.
« Tous les enseignants vivaient… [sur les lieux de] l’école… dans des résidences de maîtres. …. C’est tout ce qu’on voyait. Il n’y avait pas de maisons ou autres structures, seulement des résidences de maîtres. Elles étaient assez confortables et elles étaient meublées. »


Un enseignant a décrit l’ampleur du choc culturel qu’il a vécu en arrivant dans une communauté nordique éloignée :
« … la chose la plus étrange, c’est que les enfants venaient à l’école en calèche (il n’y avait pas d’autobus scolaires). Ça leur a servi d’autobus pendant les deux premières années, je pense. La calèche ramassait les enfants chez eux, les emmenait à l’école et les ramenait à la maison l’après-midi. On disait toujours qu’on n’avait pas ça en Jamaïque! Pendant les deux premières années, c’est comme ça que se faisait le transport des enfants, hiver comme été. Ensuite, ils ont eu des autobus. Il faut comprendre qu’à l’époque, la route ne se prêtait pas à la circulation automobile. C’était une route épouvantable. »
Brevet d’enseignement
Parfois, la nature provinciale de l’enseignement empêchait les enseignants des Caraïbes de faire entièrement reconnaître leurs compétences. Cet enseignant nous raconte que son expérience de travail au Québec n’était pas reconnue à l’extérieur de cette province :
Enseignant : J’avais reçu un [certificat] provisoire du Québec. Il était accepté au Québec, mais pas en Alberta.

« Une attestation de compétence donnait le droit d’enseigner. C’était une permission d’aller dans les classes. Cette attestation était très brève et intéressante. Cette attestation de compétence donnait le droit de faire une demande de lettre d’autorisation. Mais quand j’ai commencé à enseigner, je ne savais pas que je n’étais pas la seule personne dans cette situation. Tous les autres enseignants avaient commencé. Seul le directeur de l’école était titulaire d’un B.A. ou d’un B.Ed. Moi, je pensais qu’il fallait absolument avoir un diplôme. Je ne savais pas que je n’étais pas la seule personne dans cette situation. Même le directeur adjoint n’était pas diplômé. Ils étaient allés à ce qu’on appelait l’école normale dans le temps. »
Au fil des ans, le nombre d’enseignants possédant un diplôme a changé, aux dires d’un enseignant :
« À mon arrivée au Canada en 1961, beaucoup d’enseignants de l’Alberta n’étaient pas diplômés. Certains directeurs d’école n’avaient même pas de diplôme… et un gars en particulier n’a jamais reçu de diplôme. Le plus drôle, c’est que presque tout le monde, toujours des étrangers, avait un diplôme en plus. »

Il n’y a pas que les études des enseignants en provenance des Caraïbes qui étaient dévalorisées par les autorités provinciales, leur expérience de travail de la maternelle à la 12e année étant également jugée comme insatisfaisante. Même s’ils ont été déçus de l’évaluation de leur expérience d’enseignement antérieure, ces enseignants ont saisi l’occasion de poursuivre leurs études et, par le fait même, d’améliorer leur avenir et leur salaire.

Matière à réflexion
- Est-ce que cette exposition virtuelle remet en question tes perceptions de l’histoire de l’Alberta? Est-ce qu’elles confirment ta compréhension de cette histoire ou de ce lieu? Qu’as-tu trouvé de surprenant?
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- Au cours des 100 dernières années et plus, est-ce que le racisme et les stéréotypes à l’égard des Noirs de l’Alberta se sont améliorés? Est-ce que les choses se sont empirées?
- Nomme une chose dont tu te souviendras après avoir exploré cette exposition virtuelle? Quelle leçon mettras-tu en pratique dans ta vie de tous les jours?